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1930-1939

Je suis entré dans l'armée par la petite porte. Reçu EOR en juillet 1930, je rejoignis le 72eme RADC à Vincennes le 10 octobre et fus dirigé sur Poitiers, siège de l'Ecole Militaire d'Artillerie . Bien que le court séjour à l'EMA m'ait fortement marqué, je n'en conserve pas de nombreux souvenirs. La vie régulière a ceci de bon que le temps, facteur tyrannique sur le moment, s'y efface vite et que les connaissances emmagasinées ne prennent du relief que plus tard, lorsque l'officier confirmé peut mesurer la solidité des bases qu'il a acquises à l'Ecole. Le régime du pensionnat, nouveau pour moi, ne fut guère pesant, car le travail qui nous était demandé laissait peu de place à des pensées de loisir ou d'indépendance. Je ne retrouvais pas, dans ma brigade, de camarades de collège, mais la grande variété de recrutement me permit de me frotter à des milieux sociaux éloignés du mien. Si le niveau intellectuel était satisfaisant, il ne me semble pas que j'aie noté un très haut standing moral. La discipline ne me pesait pas et les adjudants de l'EMA ne sortaient pas de l'ordinaire. Leur autorité temporaire ne les grisait pas et la bonne volonté de tous, en même temps que la proche épaulette, incitaient peu au désordre. La vie physique active que nous menions, les levers matinaux, le cheval, les longues stations debout satisfaisaient assez le dynamisme de notre jeunesse et constituaient le meilleur des exutoires.

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Il serait vain de dire la qualité de la méthode de l'Ecole. Elle a subi, au moins en ce qui la concerne, l'épreuve du temps. Ce que j'ai retenu date de Poitiers. Le reste est l'incomparable fruit de l'expérience. Mais s'il a germé et mûri, c'est que le terrain avait été ameubli, préparé et ouvert. En somme, nous étions plus ou moins des intellectuels appartenant à presque toutes les disciplines, peu accoutumés à l'exactitude, à la précision de la manœuvre, à l'espèce d'anonymat de la troupe. Il nous manquait évidemment la discipline de rang et le mécanisme de l'Artillerie de campagne. Ce sont ces deux données fondamentales que la méthode un peu primaire en apparence de l'EMA, nous fit acquérir. L'instruction à cheval ajouta le souci de la tenue, le perçant (?) et peut-être le brillant qu'il faut soigneusement cultiver chez les jeunes officiers, d'active ou de réserve. Il faut noter que le canon de 75, vieux à cette époque de plus de trente ans, offrait des possibilités de dressage incomparables, à la fois sur le plan de la discipline et sur celui des réflexes de tir. A cet égard, il n'était pas démodé. Écoles à feu et tirs en salles avec le Baranoff, appareil de tir fictif, étaient conduits avec le souci principal de remplir la mission, ce qui jouait encore sur le double plan de la discipline et de la technique. Ainsi armés, les jeunes sous lieutenants que nous devenions en cinq mois pouvaient aborder la troupe avec assurance.

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De mes premières années de régiment, je garde le plus vivant souvenir. Avoir à manier des hommes est toujours très exaltant, à qui songe à la valeur de l'exemple. Il n'est de meilleur militant que le néophyte, désireux de communiquer sa jeune science et de mesurer ses forces nouvelles. L'instruction est passionnante, surtout lorsqu'elle doit lutter contre le temps, ce qui était bien le cas du service d'un an, sous le régime duquel nous vivions alors. La plupart des batteries ne comptaient qu'un seul officier d'active et un ou deux officiers de réserve.

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Dès que je fus passé dans l'active, je me vis entraîné vers les sphères de la conduite du tir, qui reposaient encore sur des calculs manuels relativement compliqués. La nécessité de postes centraux de tir (PCT) se faisait sentir et je passai de longs mois à étudier et à réaliser les dispositifs les plus propres à accélérer ces calculs. Je vécus avec ma table de logarithmes, essayant de nouvelles règles à calcul, traçant de nouveaux abaques, imaginant de nouvelles feuilles de calcul. Deux années de suite, le hasard me mit à la tête de ma batterie aux Ecoles à feu, à Mailly et à Mourmelon. C'est un bon test pour un jeune lieutenant. Mais déjà je me tournais vers les méthodes de mise en place par avion et, ayant lu dans une circulaire qu'un officier n'était complet qu'après avoir été observateur en avion, je demandai à faire le stage correspondant. J'arrivai à A.... en avril 1935. Quelques quatre-vingt officiers de toutes armes y étaient chaque année formés à la technique de l'observation aérienne. La méthode n'était pas moins excellente que celle de Poitiers. Le stage d'observation se complétait d'un court séjour à l'école de tir et de bombardement de Cazaux. Mon initiation à la vie aérienne m'avait si bien envoûté que je me portai volontaire pour faire un an de complément en escadre . Je me présentai au Bourget dans les premiers jours de septembre. Je fus affecté à la 34ème escadre et partis aussitôt en manœuvres à Gaël-Coëtquidan avec l'escadrille du Cne Fay (appelé à devenir, plus tard, chef d'Etat-Major de l'armée de l'Air). Dès que les manœuvres de la 1ère Division furent terminées, je m'avisai que mon escadrille ne travaillait pas directement avec l'Artillerie - Je demandai le rapport du Commandant de la Base et lui expliquai mon cas. Il me répondit en me mutant à la 2/54, escadrille de reconnaissance (de jour et de nuit).

 

Mon passage à la 2/54, qui dura onze mois, fut un enchantement de tous les instants. L'escadrille venait d'être dotée de Potez 540. Il fallait voler. Un nouvel avion pose toujours de très nombreux problèmes. Je me lançai dans la navigation, les procédures de liaison avec la « voiture SFR », embryon des aides à la navigation qui allaient se développer si merveilleusement au cours de la décennie. Tir, bombardement, météo, navigation de jour et de nuit, liaison avec l'Artillerie lourde, tout y passa. J'atteignis les trois cents heures de vol dans des délais records et fis de magnifiques tournées à travers la France, pilotant fréquemment et vivant à fond la vraie vie d'homme de l'air.

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Je me retrouvai à Fontainebleau au 71ème RADCM, où je pris le peloton. Cela signifiait que j'avais la charge de former les petits gradés, brigadiers et sous-officiers J'avais retrouvé mon cheval, la fidèle Urrugue, et je repris avec bonheur les longues courses dans la forêt, sans oublier les chasses à courre. Le colonel me laissant la bride sur le cou, je pus former mes gars à mon idée et les menai tambour battant. Je pus me lancer dans l'emploi intensif de la moto et cela me permit de développer l'esprit d'initiative et le perçant (?) de cette jeunesse . J'avais de très bons sous-officiers instructeurs et ce peloton se révéla brillant, alerte, très à la hauteur des missions des Divisions Légères Mécaniques. Plusieurs exercices de nuit me permirent de placer mon monde dans des conditions extérieures proches de la réalité. L'excellent esprit de ma petite troupe, les qualités manœuvrières que je m'efforçais de développer, la rapidité des réflexes, tout cela couronnait un an de travail dont je fus récompensé par la satisfaction du colonel.

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Les qualités d'instructeur que mentionnaient mes notes (je le sus plus tard) avaient attiré l'attention de la Direction et entraînèrent mon affectation à l'Ecole d'Autun. Ecole d'enfants de troupe, celle-ci comprenait un peloton d'Artillerie qui fournissait chaque année plus de cent vingt sous-officiers de l'Armée. Pépinières de sous officiers de carrière, les école d'enfants de troupe me paraissent être une des plus solides institutions de l'Armée, héritières de ces écoles de Cadets de l'Ancien Régime auxquelles nous avons dû tant d'hommes remarquables, en tête desquels Napoléon. Cette très ardente jeunesse ne demandait qu'à marcher. Je m'attachai à la faire voler. J'avais alors un cheval magnifique, Flambé, un pur sang aux brillantes origines, cadeau de mon colonel. C'était un très noble animal, au caractère difficile, mais si plein de cœur et de sang que je lui passais ses sautes d'humeur. Mon colonel avait dû s'en séparer à cause de la déplorable habitude qu'il avait de rentrer seul au quartier. Il avait été sans nul doute brutalisé à l'écurie Weil-Picard qui s'en était débarrassé et, dès Fontainebleau, j'avais eu à le reprendre à zéro. Je l'avais calmé par de longues marches au pas, des exercices fréquents au manège, presque toujours seul, et je lui parlais beaucoup. Il ne revint jamais sans moi. Ce fut un merveilleux compagnon dont je pouvais être légitimement fier. Il m'a donné de très pures joies. Il est juste de le mentionner, car il a mis à rude épreuve ma patience en plus d'une occasion, ma volonté aussi. Jamais je n'oublierai la douceur et la puissance de son galop. Comme tout cela est loin.

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En juillet 1939, je rencontrai dans une maison amie le général de G. , alors attaché de l'Air à Berlin. Il me dit que la guerre était proche. Je quittai Autun pour ma permission de fin d'année scolaire avec ma cantine et mon barda. Bien m'en prit, puisque je me retrouvai le 20 septembre à Orly, mobilisé avec les FA 27, organiquement rattachés à la 3ème Division légère de Cavalerie.

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