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La Frégate

Histoire de la Renault Frégate de Réné Goussault de 1956 à nos jours

par Antoine Goussault

Au printemps 1955, René revient en France après un difficile séjour en Indochine.


Aidé certainement par le pécule de l’armée, il souhaite rapidement commander sa première automobile. Jusqu’alors il n’avait roulé que dans celle de ses parents, une Hotchkiss AM80 Monaco de 1931 ou 32, avec laquelle il a notamment emmené sa jeune épouse en voyage de noce, celle de sa belle-famille (une Citröen traction 11 cv familiale de 1939) ou ses voitures de fonction (Jeep…).

Pourquoi une Frégate?

Quelle automobile choisir en 1955 pour un père de famille de 4 enfants souhaitant sobrement afficher son statut d’officier sans non plus dilapider son patrimoine ?


Une Hotchkiss comme ses parents ? Marque bien connue des artilleurs car produisant également des armes, elle propose depuis les années 20 de belles automobiles de grande qualité sans pour autant paraitre ostentatoire. Son slogan était « La voiture du juste milieu ». Malheureusement la production de leur dernier modèle, l’Anjou vient d’être arrêtée. Une très belle auto équipée d’un excellent moteur (13 CV fiscaux). Mais sa conception et son processus de fabrication d’avant-guerre (châssis séparé, carrosserie sur ossature en bois), engendraient un prix de vente trop élevé sur le marché. 


Une Citroën comme sa belle-famille ? Même si elle a un peu évolué, la traction commence à dater puisque les premiers modèles sont sortis en 1934. La DS est encore dans les cartons, les premières ID ne seront livrées qu’en 1957.


Peugeot a bien sorti la 403 mais ce n’est qu’une 7CV, c’est un peu léger surtout statutairement.


Ford a commercialisé quelques beaux modèles fabriqués en France dans la nouvelle usine de Poissy (Vedette) mais vient de vendre l’usine à une toute jeune marque SIMCA, qui jusqu’alors fabriquait des Fiat sous licence. Pas très chic. 


Chez les petits constructeurs : Panhard ne fait plus de grande voiture comme avant-guerre. Delahaye vient de se faire racheter par Hotchkiss et Salmson a arrêté la production de sa Randonnée. 


Quant aux véhicules étrangers, ils étaient très chers en raison de taxes d’importation et pas forcément bien vus.


Il reste donc Renault qui à cette époque bénéficie encore de l’image de marque d’avant-guerre de voitures de luxe, puissantes et fiables. Et plus récemment la jeune « Régie » rencontre un grand succès avec sa 4cv, apportant une image de modernité à la marque, pas encore dépréciée par les grèves de la CGT. Pourtant l’entreprise fût nationalisée par le gouvernement en 1945 arguant les faits de collaboration de Louis Renault, industriel le plus riche et le plus puissant en France en 1939. Les historiens débattent encore aujourd’hui sur sa réelle implication dans la collaboration comme de l’influence du PCF auprès de De Gaulle dans la décision de nationaliser Renault.


Quelle était la perception de René sur Renault en 1955 ? Je ne sais pas, toujours est-il qu’il choisit de commander une Frégate.


A noter que Jean Bréhier (le beau-frère de René) et Jacques Pilliard (le cousin de René) devancèrent René, ce qui l’influença certainement son choix.

La Frégate fut lancée en 1951, avec des premières livraisons fin 1952. Les débuts ont été chaotiques car la voiture n’avait pas été suffisamment testée donc peu fiable et le moteur était jugée trop mou. Malgré une belle ligne ponton très à la mode et inspirée des standards américains de la fin des années 40, dotée de quatre roues indépendantes, d’une boite 4 vitesses et d’un plancher plat (donc une 6 places) ses ventes ne parviennent pas à devancer celle de la vieille Citroën Traction. 


En 1955 justement Renault sort un modèle « restylé » corrigeant les défauts des premiers exemplaires, notamment un moteur un peu plus puissant et fiabilisé. De nombreuses campagnes promotionnelles sont lancées pour redorer l’image de l’auto. Deux modèles sont alors disponibles :

  • L’Amiral : modèle plus luxueux, équipé de banquètes avant et arrière avec accoudoirs et de baguettes chromées sur la carrosserie. 

  • La Deux Litres : modèle d’entrée de gamme un peu plus dépouillé


Les délais de fabrication des voitures sont très longs à cette époque, avec la demande qui explose, les constructeurs automobiles, même Renault avec sa toute nouvelle usine de Flins, ont du mal à fournir.


En tant que Commandant dans l’Armée de Terre, choisir un modèle ‘Amiral’ pu paraitre présomptueux. C’est ainsi que, je suppose, René opta pour la « 2 Litres » type R1100 commandée au prix de 722 500 F (soit 15 800€ corrigé de l’inflation). Elle sera livrée et immatriculée en avril 1956.

Une décennie d’usage familial 1956-1966

La Frégate fut utilisée pour les trajets en famille, du Boulevard du Temple à Cramaille et quelques vacances, notamment un voyage en Espagne en 1958 ou 59.

Maggy, qui fût une rare femme de son temps à posséder le permis de conduire, la conduisait souvent.


René utilisait peu sa voiture en semaine et la garait dans l’usine de Jean Bréhier, rue de l’Ourcq.


Rapidement la voiture est équipée de « Sinti », accessoires en alliage poli protégeant le bas des ailes. Du tunning avant l’heure, pour lui donner un air d’Amiral.


René était très attentionné à sa Frégate, en faisant réparer les petits incidents de carrosserie (j’ai vu les traces plus tard) ou en polishant la peinture avec une brosse à reluire (la « Nenette ») et son produit (le « Nenetol ») que j’ai également retrouvé dans le coffre. Il n’aimait parait-il pas trop la prêter non plus.


Récemment Michel Fritsch, un ami d’enfance de Christian Pilliard, rendant visite à Alain et Zouzou à Cramaille vient voir la Frégate et me dit « Celle là je ne l’ai jamais conduite, ton Grand Père ne voulait pas, alors que j’ai conduit de nombreuses fois en soirée Zouzou, Odile, Zabeth, Christian dans les Frégate de Jean Bréhier ou de Jacques Pilliard »


René avait certainement plus confiance en ses fils. Bernard l’a ainsi utilisé pour ses trajets entre Cramaille et Chalon sur Marne pendant ses EOR de juillet 1959 à fin 59, avant de partir en Algérie.


A la même époque, Bernard et Yves, de retour d’une balade vers la Butte Chalmont, près de Cramaille, ont fait une sortie de route, coupant droit à travers champs et évitant un très inutile virage  droite-gauche. Les deux Klaxons, sous le pare-chocs avant en ont gardé des séquelles. Les virages sont toujours là, et pas bien dangereux. Ils ne devaient pas trainer.


En octobre 1962, la Frégate accompagne Bernard et Françoise au Château de Fère pour leur repas de mariage.

La voiture de Maggy à Cramaille 1966-1976

Après le décès de René, la Frégate est remisée dans l’un des garages de Cramaille. Elle devient la voiture de Maggy qui l’utilise pour ses trajets à Fère lorsqu’elle s’y installe tous les étés.


Maggy adorait conduire et mettait le pied au plancher dès qu’elle le pouvait. Vu les performances de la voiture, cela n’en faisait pas un danger public.


Alain se chargeait de l’entretien, et faisait chaque printemps une remise en route de la Freg’ .


C’est à cette période que la Frégate entre dans mes souvenirs de tout jeune bambin : Trajets au marché de Fère avec Maggy et tous les enfants entassés, sans ceintures ni siège auto bien sûr ; Manœuvres dans la cours de sable nécessitant des bras de camionneur (il n’y a pas de direction assistée), avec les enfants grimpant sur la galerie officiellement pour guider Maggy à la voix ; balade et piquenique avec Alain à la hottée du diable, toute la marmaille chantant « Petits oiseaux, zo,zo… » ; les coups de klaxon, enroués par la rouille, sous le tunnel de Trugny etc…

L’oubli 1976-1992

1976, c’est à peu près l’année ou les clés ont été égarées, et par conséquent l’impossibilité pour Alain d’effectuer une remise en route. La Frégate est juste laissée telle quelle dans le garage.


De temps en temps les jeunes se risquent à ouvrir les portes bien fermées à clé pour aller essayer de bricoler les vieux Solex qui s’y trouvent et en profitent pour monter à bord et jouer derrière l’immense volant. C’est à peu près tout, pendant 16 ans.

Une très longue renaissance 1992-2010

Eté 1992 se tient devant la Grande Maison un habituel apéritif regroupant toute la famille venue en week-end. Maggy est présente, Jacqueline, sa sœur, également. Elles étaient presque inséparables, aussi proches et complices que différentes et capables de passes d’arme mesurées. Je ne sais pas s’il y avait eu des tensions au préalable, mais Jacqueline lance les hostilités après le premier kir « Geneviève, quand vas-tu te débarrasser de cette vieille voiture qui prend de la place dans le garage ? Si tu veux j’appelle la casse pour qu’ils viennent la chercher » Maggy est embarrassée, je suppose n’osant pas avouer qu’elle est attachée à la voiture de son mari et répond sans virulence. Je la sens prête à céder et me décide à intervenir « Maggy, penses à tes petits enfants, nous adorons cette voiture, il faut la garder » « Et bien soit dit Maggy, bondissant sur l’occasion, je vous la donne ! » fin de la discussion.


Quelques temps plus tard Maggy m’annonce qu’elle a retrouvé les clés, et dans la foulée commence à me sonder sur mes motivations. C’est une voiture de collection, elle mérite d’être sauvée, je voudrais essayer de le faire, lui dis-je. Rassurée, elle me tendit les clés. Je pense qu’elle craignait que j’en fasse, comme avec mes vélos, une sorte de voiture de stock car.


Le lendemain j’ouvre les portes du garage, regonfle les pneus et pousse la voiture dans la cour de sable.

Alain n’est pas loin, et vient me conseiller. Avec la batterie 12v du tracteur (la Frégate est en 6v), un peu d’essence, de l’eau dans le radiateur, un bon nettoyage des bougies, des gicleurs et des vis platinées, le moteur repart sans trop de mal. Evidement ni les freins ni l’échappement n’ont résisté à tout ce temps. Cela ne m’empêche pas de faire quelques tours dans Cramaille, tout heureux d’avoir faire revivre la voiture de Maggy, quelle victoire personnelle ! 


La fin de l’été arrivée, la Frégate retrouve son garage et je repars à mes études, avec en tête un projet et surtout l’engagement moral de le mener à bien. Je n’ai quasiment aucune notion de mécanique, je me suis seulement fait un peu la main sur mes nombreux vélos durant mon adolescence. 


Pendant les vacances de Noël, alors que la France est traversée par une vague de froid terrible, Alain appelle à la maison et demande à me parler « As-tu pensé à vidanger l’eau du radiateur de la Frégate, - heu, non, pourquoi ? » Après avoir reçu un rapide rappel des bases de physique, je raccroche, dépité. Il se trouve que Emeric passait quelques jours à la Grande Maison pour le réveillon avec ses amis. Je l’appelle et lui explique le problème. « Essaye de trouver deux litres d’alcool à bruler et verses les dans le radiateur, je te rappelle dans une heure ! » et une heure plus tard « C’est bon, on s’est débrouillé me dit-il avec un sourire audible ». 


Au printemps suivant, dès le premier week-end d’ouverture de la maison je me précipite dans le garage et trouve devant la voiture une bonbonne d’eau de vie de Reine Claude, vide. Je retire le bouchon du radiateur. Les effluves m’ont enlevé tout doute sur la nature de l’antigel employé par Emeric. La prune maison étant considérée comme un trésor, je ne l’ai jamais dit à la famille.


Malheureusement ce plan n’a pas suffi et le bloc moteur était fendu sur 30 cm sous le collecteur d’échappement. J’ai bien réussi à faire redémarrer le moteur, et même l’été suivant à parader avec Guillaume dans tout Cramaille lors d’une rétrospective de voiture ancienne. 


Echaudé par cette expérience, j’arrête le bricolage et comprends que ma situation d’étudiant ne me permet pas d’engager les travaux nécessaires. Une nouvelle pause s’impose qui durera jusqu’à l’été 1997.


La restauration peut enfin commencer, lentement mais surement et surtout avec méthode. Il serait trop long de tout détailler mais le chantier s’est déroulé par étapes successives :

  • Réfection du moteur, à partir d’un autre bloc et d’un kit « Chemise-piston » neuf (97 à 99)

  • Démontage complet de la carrosserie (99 à 2001)

  • Décapage et peinture des planchers, réfection du radiateur, du réservoir, décapage et peinture des dizaines de petites pièces mécanique (2001 à 2003)

  • Peinture chez un premier carrossier (2004)

  • Réfection des freins (2005)

  • Remontage du moteur et remise en route (2005 à 2008)

  • Re-peinture chez un autre carrossier, (trop de défauts et mauvaise teinte pour la première) (2009)

  • Réfection des chromes (2010)

  • Remontage complet : vitres, éclairages, pare-chocs, tableau de bord (2011)

  • Réfection de l’intérieur chez un sellier (2011)

  • Premier contrôle technique réussi en 2011


​Cette restauration fut un projet long et semé d’embuches. Je suis certain que sans la valeur sentimentale de la voiture, l’engagement moral pris auprès de Maggy, je ne serais pas allé au bout.

La voiture de collection depuis 2011

Au printemps 2011 je conduis la Frégate à sa première sortie, organisée par le Club pour les 60 ans de la Frégate. La voiture n’est pas encore bien testée, l’intérieur n’est pas fait, mais elle roule !


J’ai même eu l’honneur d’avoir un encart dans La Vie de l’Auto.

Par la suite nous avons participé en famille et entre amis à de nombreuses sorties et rallyes de voitures anciennes.

Au total environ 10 000 km parcourus en 10 ans, avec quelques pannes :

  • Beaucoup de petits défauts la première année (freins, allumage, carburation)

  • La dynamo, j’en ai grillé trois avant de mettre un alternateur moderne

  • Une roue arrière « perdue » car le mécano avait oublié de mettre une goupille sur le moyeu, heureusement sans gravité pour nous ou la voiture.

  • Et un certain nombre de pannes d’essence

Mais globalement la voiture est très fiable et permet de s’engager sur de longues distances, à condition de ne pas être pressé. 


Cela nous permet de pratiquer un tourisme à l’ancienne, en prenant les nationales et voies secondaires. Le regard des gens est dans la grande majorité très favorable, et nombreux sont ceux à engager la conversation. Il m’est arrivé de recevoir quelques conseils désagréables d’écolo moralisant. Conscient et préoccupé par les enjeux climatiques j’ai calculé que les rejets de CO2 annuel en Frégate représentaient l’équivalent d’un aller simple Paris-Rome en avion pour une personne.


Je ressens toujours une profonde émotion dès que j’ouvre la boite à gants, pour y retrouver bien rangés ses « gants en peau d’officier*» (en réalité en Pécari).


*expression militaire dont j’ai découvert l’origine lors de mon service militaire. Faisant également les EOR (Elève Officier de Réserve) lors de la perception de mon paquetage, j’ai reçu dans une pochette sur laquelle était inscrit « gants en peau d’officier », pour les distinguer des gants ordinaires destinés aux sous-officiers.

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