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Souvenirs

Troisième Partie

Ici je reprends mes notes de voyage.

 

Lundi 24 août. Paris.

 

Les préparatifs s’achèvent doucement. Il pleut. Nous sommes inquiets. 

 

Mardi 25. Annemasse.

 

Jusqu'à Dijon, parcours connu. À Bourg, il commence à pleuvoir. Nous entrevoyons l'église de Brou. À Ambérieu., Il pleut à verse. A Culaz et à Bellegarde, le temps est nettoyé, mais nuageux. La nuit vient. Arrivée tardive à Annemasse où l'on gîte à la hâte.

 

Mercredi 26. Evian.

 

Temps médiocre. Avant le déjeuner, nous «faisons» le bord du lac. Puis un essai de montée au Royal échoue sous une averse. Nous nous réfugions à la source Cachat. Le soleil capricieux perce, nous montons à l’Ermitage et un peu plus haut, à la Verniaz, d'où la vue est superbe sur Évian, le lac et Lausanne. Nous redescendons et, louant une petite barque de course, je rame sans fatigue. Le lac est d’huile. En un tournemain, le vent inattendu se lève, le lac s’agite, la houle se précise et bientôt les vagues nous entourent. Je réussis à ramener notre nef au port non sans peine. En un quart d'heure le lac est devenu une mer mauvaise. Des paquets d’eau passent par-dessus les terrasses du bord.

 

Jeudi 27. Argentières. Premières impressions.

 

Notre voiture vient de s'engager dans le tunnel de Cluses et déjà la vallée du Reposoir a disparu. Quelques instants dans le fracas souterrain et soudain, c'est l'éblouissement. Nous pénétrons dans le vestibule du royaume du soleil, et des neiges éternelles. Dans la brume douce du matin, Sallanches et sa couronne sinueuse nous apparaissent irréels, scintillants sous l’immense coupole bleue dont pas un nuage n’altère l’uniforme splendeur. Plus près de nous, les Aravis, leurs cascades et leurs rochers forment un cortège puissant au géant dont la tête immaculée se perd dans le brouillard. À la pluie incessante de la veille, aux nuages cotonneux d'Annecy et du Foron a succédé l’altière beauté d'un midi d'été finissant. Bientôt à Saint-Gervais, nous avons changé de voiture et quand le train électrique attaque la rampe de Chedde, nous nous tournons vers les Aravis dont les sombres assauts de pierre, massifs dans l'atmosphère transparente et bleutée, sont mouchetés de neige. À Servoz, nous recommençons d'apercevoir le Mont Blanc, du moins Bionnassay et le Goûter. Le grincement régulier des balais sur les rails se mêle au bruissement clair et soyeux des mille ruisselets qui dévalent vers Saint-Gervais. Une brise fraîche, imperceptible nous frôle, parmi des senteurs vagues, sauvages, de sapins et de terroir humide. Au tournant des Houches, le spectacle est accablant. Au-dessous de nous c'est l’Arve bouillonnant, profondément encaissé, dont les chutes précipitées écument et mugissent, entre deux murailles fauves et humides d’où le torrent a arraché pêle-mêle des troncs ruinés et des quartiers de roc. Au-dessus, les pâturages verts et frais, riants, calmes, parsemés de petites maisons blanches comme des pâquerettes, montant sans effort, du col de Balme au col de Voza, vers le royaume des neiges, vers l'immortelle candeur.

 

Chamonix Mont Blanc! Ce nom évoquait pour ma jeune imagination, il y a déjà longtemps l'énigme des splendeurs glaciaires. Le plus haut sommet de l'Europe! Le roi des monts des Alpes! De la gare–où nous nous sommes arrêtés dix minutes–je le contemple tout à fait au-dessus de moi ce fameux Mont-Blanc. Il est midi. Le soleil au zénith est accablant, tout comme cette coupole de glace étincelante dont je ne puis arracher mes yeux. Le voile de l'inconnu vient de se déchirer et je reste là, comme un nouvel initié, muet et si heureux que je danserais malgré l'étouffante chaleur. Les Praz, les Tines et son «Paradis», un aperçu du Montenvers et de la Mer de Glace, enfin Argentières et son noble glacier, sa jolie église au clocher doré, ses pins et le fond de verts pâturages dans la brume du midi. «Midi roi des étés…» L'après-midi, nous montons à Montroc - Le Planet, pour contempler l’Aiguille Verte, le Chardonnet et pour apercevoir dans la brèche du col des Montets, au-dessus de Vallorcine, les contreforts neigeux du Buet  dans le poudroiement du couchant.

 

Vendredi 28.

 

Ce matin, au lieu d'aller à la Flégère, nous montons au pied des Aiguilles Rouges. Nous dépassons en altitude le Montenvers et les cabanes de Lognan. Vue superbe sur toute la chaîne. Le glacier du Tour et son petit village, au pied, au fond de la vallée de Chamonix apparaissent dans le soleil du matin. L'après-midi je monte vers Lognan; je repère quelques sentiers et je vais rechercher Papa et Maman au col des Montets. Sur le tard, le glacier est bleu, bleu pâle, irréel.

 

Samedi 29. Le col de Balme.

 

Montée longue et ennuyeuse de 2h30, dans les pâturages remplis de ruisselets. Soleil de plomb. Au col de Balme, le panorama est très impressionnant. Alexandre Dumas raconte qu'il en demeura stupéfait. Le Mont Blanc et ses satellites, la Verte et son massif, le Tour, les Alpes bernoises, le Buet et son massif, les Aiguilles Rouges forment un cycle admirable. Descente à pic sur Vallorcine. À une vitesse fantastique. Nous arrivons éreintés juste à temps pour le train de 17h15. Nous sommes néanmoins ravis. Le coucher de soleil est ensorcelant.

 

Dimanche 30. Les Tines.

 

Dans la poussière d’une mauvaise route en longeant l’Arveyron, nous avons le tort de ne pas aller jusqu'au «Paradis». Le retour est fastidieux. Mais la vue est bien belle entre les grands sapins.

 

Lundi 31. Le glacier d’Argentières.

 

Cinq heures sonnent dans le demi jour, comme je m'éveille. D'un bond, je suis à la fenêtre, sur la terrasse, et mon regard inquiet va vers le Mont-Blanc. A l’est, il est teinté de rose. Le reste de sa masse imposante sous l'indigo pâle du ciel est encore tout blanc, d'un blanc laiteux, gris, bleuté, veiné de brun par les têtes des rochers. Doucement les crêtes s’illuminent. L'air du matin par la fenêtre ouverte m’apporte les mille frémissements de la vallée qui s'éveille sans hâte de sa torpeur de la nuit. Vers six heures quand notre guide a bouclé les sacs, nous nous mettons en route. Nous sortons d’ Argentières par l’est, entre les maisons encore fermées où tout semble mort sous les toits bas. Nous franchissons l’Arveyron qui nous jette en passant l'écume de ses eaux torrentueuses. Le chemin de Lognan s’accroche à la moraine, la franchit, puis en longe la crête, s’élevant par de minuscules méandres. Un peu plus haut, nous entrons dans le petit bois de sapins ruinés dont les troncs moussus achèvent de pourrir. Au-dessus de nous, dominant la masse bleuâtre du glacier, l'aiguille du Chardonnet accroche quelques couronnes de brouillard ténu. L'air est d'une exquise pureté ; les myrtilles et les touffes de verdure exhalent des senteurs presque imperceptibles. Tout soudain à un détour du sentier, le soleil nous jette en plein visage l’or de ses premières ardeurs.

 

Nous voici sur la terrasse de Lognan. À nos pieds, le glacier bleu descend en vagues chaotiques vers Argentières qui s'anime sans bruit. Nous reprenons la moraine dans la direction des marches de l'escalier glaciaire dont les arêtes scintillent. Aucun autre bruit que celui de nos pas assourdis par la poussière de granite. Bientôt, l'ivoire veiné de bleu du glacier se teinte de mille nuances ocrées. Nous franchissons le dernier degré et déjà Lognan n’est plus, au-dessous de nous, qu’un petit cube sur le fond vert de la vallée.

 

Le cirque glaciaire nous apparaît soudain resplendissant, aveuglant, entre ses murailles rouge foncé, ou les névés font d’irrégulières tâches immaculées. Sous le soleil levant, toutes les ombres sont nettes, aigues, violacées. La muraille des Droites et des Courtes se projette sur la neige et son contour déchiqueté va nous suivre longtemps sur le glacier.

 

Nous avons escaladé la moraine pour éviter un groupe de séracs dangereux. Les pierres s’écroulent et roulent se perdre dans les abîmes. L'aiguille d’ Argentières semble se rapprocher lentement. Ses mille dentelures, ses merlons hérissés, tacheté de neige se découpent en brun fauve sur le bleu du ciel, par endroits presque noir. Une couche de neige fraîche cache les petites crevasses, stries parallèles creusées par la marche incessante des séracs. Cependant l'ombre bleue s'est retirée vers les a-pics glacés et la nappe éclatante s’étend presque sans ondulations, traversée seulement par la piste grise que nous suivons.

 

L'ombre des rochers même est lumineuse, tant rayonne le soleil. Pas un bruit. Pas un frisson. Il nous semble être ici les seuls vestiges d'une catastrophe universelle, dominant, du balcon fortuit où nous sommes montés, la laiteuse blancheur du champ de glace. Par la brèche de l'escalier, là-bas, au fond du grandiose couloir, les Aiguilles Rouges révèlent leurs sommets âpres et déchiquetés. Une légère évaporation donne à leur massive silhouette quelque chose de mouvant et de fuyant. 

 

Il faut repartir le déjeuner terminé. Un dernier regard aux remparts du Tour Noir, à ces assauts de neige dont les langues acérées fouillent les mille replis des rocs, dont les courtes vagues semblent, par places, jetées et pétrifiées sur les crêtes abruptes. Et puis c’est le défilé ininterrompu des sommets célèbres, tandis que l'ombre de la Verte s’allonge traîtreusement vers la moraine où nous nous hâtons en silence. Avec nous descendent, dans un rythme clair et endiablé les milles sources perdues dans les flancs du colosse. Par endroits, un mince filet diaprés se faufile entre les séracs; l’eau est comme frappée d'une saveur délicieuse, subtil éclair d’argent sur la glace dorée.

 

Quand nous atteignons Lognan, le Brévent nous cache le soleil. La fraîcheur du soir monte de l’ombreuse vallée, nous imprègne de son parfum subtil et, pour échapper au frisson dont elle nous enlace, nous accélérons le pas vers Argentières. Le village se rapproche, aussi calme qu'un autre départ ce matin. Le glacier se rétrécit, les verts de la vallée se fondent dans une sombre teinte veloutée ; nous passons entre les pins rabougris qui accompagnent l’Arveyron dans sa course vers Chamonix, un petit point neigeux du Dru s’allume un court instant, une tache rosée frémit dans la Verte et la montagne rentre dans l'obscurité radieuse des soirs d'été.

 

Mardi 1er septembre.

 

C'est la journée de repos sur la terrasse, étendue, je rêve. Le temps est admirable. Pas un nuage. Les émotions de la veille me tiennent éveillé, tandis que, les yeux mi-clos je suis la ligne capricieuse des Aiguilles.

 

Mercredi 2.

 

18 ans! Fugit tempus ipsum!

Au pied du Buet, dans une vallée sauvagement encaissée, court un ruisselet aux eaux bondissantes. Quelques vaches accrochées de ci de là au rocher, paissent sur les pentes à demi gazonnées. Au fond, sur un roc en surplomb, le chalet de Pierre à Berard.

 

Jeudi 3

 

Le mont Blanc resplendit à nos yeux une dernière fois. Dans le train, je suis monté sur la plate-forme du dernier wagon et mes yeux errent passionnément sur cette vallée dont je voudrais tout emporter dans un suprême regard…

 

Presque sans transition, hormis les gorges tourmentées du Faron et le clocher aux ors noircis de la Roche, nous sommes passés de Chamonix à Annecy. Comme nous arrivons, vers cinq heures, la Tournette seul affronte encore les rayons mordorés du soleil. La journée, très belle, promet une soirée lumineuse et douce.

 

Sous les arcades basses aux ombres épaisses, nous avons gagné le Paquier. Peu de monde. Quelques groupes élégants regagnent l'Impérial. Nous les suivons, sous les immenses platanes dont les pesantes grappes de verdure bruissent légèrement dans le petit vent du soir.

L'eau du lac est limpide, d'un bleu de pastel avec, ça et là, des filets d'argent et des tons moirés.… Nous voici en barque, en face du Château et du vieux port. Le dernier bateau blanc appareille et de ses aubes, fait jaillir des gerbe diaprées. Les rames plongent avec un clapotis léger dans l’eau. Le lac est si calme que notre embarcation y fait à peine un mouvant sillage. Là-bas, à gauche, Menthon et ses pergolas palpitent dans une brume ténue.

 

Plus loin, Duingt et son donjon s'estompent à demi dans les profondeurs capricieuses du beau lac. D’Annecy vient un bruit confus de vie et de lassitude. Sous les arbres du parc, quelques rares enfants, dans la poussière, continuent de s’ébattre. Quelques vagues accords, bouffées de musique échappés du casino parviennent jusqu’à nous.

 

Le ciel est uniformément bleu, pâle, lointain. Quelques taches vertes, harmonieusement fondues sont piquées sur la tunique grise de la Tournette. Les premières lumières s'allument et leur image tremblote sur les rides du lac. L'atmosphère est moite, un peu lourde… Si nous rentrions ?

 

Vendredi 4.

 

Le matin, nous montons au Crêt du More et errons dans les bois. De jolies échappées sur le lac. Après déjeuner nous prenons le bateau. Le lac est de plus en plus bleu, sans un pli. Nous descendons à Duingt. Au détour de la route les «Libellules» se mirent dans l'eau claire. Nous gagnons Saint Jorioz par la longue route bordée de noyers et de pommiers. Le bateau nous ramène à Annecy.

 

Samedi 5.

 

À midi, nous sommes à Aix. Le train longe le lac du Bourget dont les flots d'azur réfléchissent les rives sauvages. Au loin Hautecombe. À 11h nous sommes à Paris.

 

Dimanche 6.

 

Je suis rentré seul à Vulaines. Adieu les grandes aventures! Une fin de vacances assez active. Beaucoup de tennis. À vélo nous allons voir le château de Vaux, l’ancienne demeure de Fouquet. Le château en lui-même est assez lourd, mais le parc qu'il l’entoure est magnifique. L'entrée est vraiment royale et les bassins entre les bosquets taillés ont très grand air. On ne peut mieux terminer que sur cette noble et grandiose impression.


 

J’entrai en Spéciales Préparatoires, en L. Je n’eus guère à souffrir du «bizutage» car je fus immédiatement élevé à la Taupinale et vénérable dignité de Peintre Officiel de la Taupe, me donnant droit au port de la palette à mon calot. J'entrai très vite en fonctions, car il me fallait soumettre aux vénérables Puissances un projet de dessin pour le «singe annuel». Je mis en oeuvre «la visite à Antinéa»; dans le palais fabuleux de l'Atlantide les professeurs de la Taupe rendent visite à la reine du lieu, présentés par l'interprète Herr Docktor Simondet. Sans commentaires. 

 

La retraite fut prêchée par Monseigneur Henry, Protonotaire apostolique, dont la bonhomie et parfois la trivialité – de bon aloi - rompirent vite la glace. Néanmoins, cette retraite ne m’a pas laissé une impression considérable.

 

À l'extérieur, nos Affaires n'étaient point brillantes. Sarrail, l'incapable Sarrail, gâtait en Syrie les avantages gagnés par Gouraud et Weygand. Sur les instances réitérées de l'Angleterre, il fallait rappeler ce vieux favori des Loges. Triste conclusion et défaite de notre vieux prestige catholique auprès des populations syriennes.

 

Au Maroc, grâce au maréchal Pétain et au général Naulin, la guerre tournait à notre avantage et la défaite de Abd-el-Kerim approchait. L’incapacité de Steeg et de son administration éclatait là d'une façon admirable, sans que notre «libre démocratie» songeât à se plaindre du sang versé, de l'argent gaspillé, du temps précieux perdu, des forces vives usées sans résultat. Peuple d’aveugles et de couards!

 

Ce spectacle si lamentable augmentait encore mes  raisons de demeurer toujours dans les rangs de l’Action Française. Le comité des Etudiants me confirma mon titre de Délégué Général. J'allais demeurer en fonctions près de deux ans, préparant ainsi les voies à mon successeur. Au reste, c'était alors le velours pour l’A. F. Les querelles romaines n'étaient même pas dans l'air et, avec un peu de discrétion, il était possible de mener à bien la propagande. Je coordonnai les efforts en décentralisant et en donnant un peu d'initiative à mes sous délégués. Encore que la tâche fut mince, je voulais qu'elle fût remplie consciencieusement, sans forfanterie et je préférais la qualité de nos amis d’A.F. à leur quantité. Au reste, la qualité fait noyau et ne tarde pas à entraîner la quantité. Le groupe de Stanislas ne cessa pas d'augmenter et ses progrès vinrent me confirmer dans ma manière de procéder.

 

Stanislas ne tarda pas à perdre son grand animateur, l’abbé Beaussart, appelé – «par la confiance de son Eminence» – à la cure de Saint-Jacques du Haut Pas. Perte considérable pour Stanislas, dont l'aumônerie devait désormais péricliter. Contre toute attente, ce fut l'ineffable abbé Renaud qui fut nommé premier aumônier à Stanislas. Quelle effarante carrière! Obligé de quitter l'Italie en 1911 après un scandale à Rome, aumônier à Stanislas, protégé de Monseigneur Ceretti, l’abbé Renaud, aumônier de la Flotte, fit la guerre à terre entre Cannes et Toulon. Confident de l'évêque de Nice il fut proposé en 1921 comme vicaire général de Nice. Monseigneur Ceretti venait d'être nommé Nonce à Paris; Renaud renonça à Nice à poursuivre le Nonce à Paris. Le voilà secrétaire à la nonciature, bras droit de Monseigneur Ceretti, agent secret de la diplomatie vaticane. Tout cela récompensé par la Légion d’Honneur et finalement par la direction de l’aumônerie, sur les instances - suprêmes - du Nonce rappelé à Rome… Voilà le successeur de l’abbé Beaussart, alors que tous désignaient l’abbé Nicolas que son âge et sa popularité si méritée mettaient bien avant l’abbé Renaud. Ainsi va le monde! L'installation de Monsieur Beaussart à Saint-Jacques fut pénible pour ceux  - dont je suis – que notre aumônier honorait de son amitié et de sa confiance. Quand je pus l'approcher, après la cérémonie, et quand je lui eus offert mes vœux combien sincères, il me prit les mains : «Mon cher ami, Dieu et l’Action Française, présentement il n'y a que cela.» Et il ajouta quelques mots trop flatteurs pour que je les transcrive ici. Quel doux souvenir! Et comme cette phrase retentit étrangement, maintenant que Rome a déclenché contre nous une offensive injuste et maladroite

 

Au mois de novembre, Rémi se mariait. Sa femme Renée Lancher de Coupigny était très agréable et très simple. Le mariage eut lieu à Coupigny, au château. Coupigny est à 18 km d’ Aumale, dans le pays de Bray, boutonnière jurassique du Vexin. C'est un pays très analogue à notre Saint-Pierre. Le mariage fut très gai. Un déjeuner monstre fut servi, où l'on s'amusa follement. Je retrouvai là Jacques le jésuite, arraché à son Ordre pour la circonstance. Jacques était très en forme et il su être très gai sans se départir de cette dignité qui lui sied si bien. Il revint avec nous à Paris et le voyage fut charmant. Nous avons dit beaucoup de bêtises mais sans faire de scandale!

Tous ces événements nous conduisent aux vacances du jour de l’an. Nous les inaugurâmes, Colette et moi par une visite à l’Opéra où nous entendîmes Tannhäuser. Nous en revînmes ravis et ce premier contact avec Wagner avait un goût très prononcé de «revenez-y.» Les vacances se passèrent en grande partie au Mans. Nous eûmes l'occasion de voir nos petits amis Thirouanne, surtout Alain–mon préféré–et José–mon flirt–. Comme toutes les vacances, celles-là passèrent étrangement vite. Je me remis au travail avec ardeur.

 

Ici il me faut consacrer quelques instants à mes amis San Lazaro, qui allaient occuper une très grande place dans ma vie de Taupin. J'avais fait la connaissance de Miguel–l’ainé,–à l’Action Française. On me l’avait signalé comme excellent propagandiste et j'avais eu l'occasion, dans le courant de 1925 de bavarder avec lui au sujet du groupe du collège. Voisins d'habitation, nous eûmes vite fait de nous rencontrer quotidiennement, à l'aller et au retour de Stan. Une très vive amitié nous lia bientôt. Elle s'étendit à toute la famille, depuis Jérôme à Ghislaine, en passant par Max, Alain et Bernadette. Je fus présenté à leur grand-mères, la vicomtesse de San Lazaro et Madame Mautin. Je ne puis que me réjouir en pensant aux délicieux instants que j'ai passés avec ces chers amis et si des querelles passagères–dues à bien des raisons–ont paru refroidir notre mutuelle affection, elle n'a pas décru et ils sont aujourd'hui de très bons amis pour moi. Je liais en même temps de très amicales relations avec André Déroulède , neveu du grand Déroulède. Artiste un peu rêveur André, ou Dédé est aussi un excellent ami dont je reparlerai dans plus d'une circonstance. 

 

Le second trimestre, entièrement donné au travail ne fut égayé que par un thé- bridge où je convoquai tous mes amis. J’eus le plaisir de voir réunis autour de moi Guy, René, Jean, Jérôme, Miguel, et Hélion, Défly, Guilbert, Dédé, etc…. Et cette matinée étendit un peu mon cercle d'amis en les rapprochant les uns des autres.

 

Pâques venait. Le lundi Saint, nous partions au Mans. Nous devions retrouver les San Lazaro et entre (Colette et moi) nous étions arrivés en avance pour avoir des places, car le train était bondé. J'aperçus Max qui se précipitait vers moi: «le Roi est mort!». Sur le moment je demeurai stupéfait. «Le roi, dis-je ?»–«Oui, regarde» et il me tendais l’Action Française. Ce fut ainsi que j'appris la mort de Monseigneur le duc d'Orléans. Je demeurai atterré. Je reçus distraitement mes amis tant j’étais ému. Dans notre wagon, on ne parlait que de ce triste événement «le roi est mort, le roi est mort!» Et tandis que le train nous emportait, je dirigeai ma pensée vers la blanche villa de Palerme, où, dans un linceul tricolore, portant entre ses doigts le sachet de terre de France qui ne le quittait jamais, reposait à tout jamais le Chef de la Maison de France. J'évoquais la vie de ce prince, né en terre d'exil, élevé à Stanislas, banni, odieusement banni, prisonnier pour avoir réclamé l'honneur d'être soldat français, chef de sa Maison à 25 ans, brillant officier de l’Armée anglaise, hardi chasseur, grand voyageur, et tellement averti de tout ce qui touchait à la vie de son pays. J'ai évoqué San Remo, j’évoquais la guerre et les refus blessants qu’il eut à souffrir. Le petit-fils de Henri IV chassé du sol français en danger! Alors que tant de ses aïeux avaient donné leur sang, leur vie pour notre France, le duc Philippe VIII, parce qu'il était l'héritier de quarante rois, ne pouvait venir se battre en terre de France! Ô misère!

Il lui fallut se contenter de transformer le Manoir d’ Anjou en ambulance et ce chef né de notre armée mit sa gloire à arracher à la mort ce que l’inconséquence et l’imprévoyance républicaines vouaient au plus inutile des sacrifices! Comme elle retentissait douloureusement à ma mémoire, cette lettre au duc de Luynes :

«Depuis quarante ans que je suis exilé, que de fois je suis parti vers des régions lointaines pour chercher, en travaillant de mon mieux pour la France, à échapper à la désespérante obsession de cette frontière barrée. J'ai vu rentrer en France grâce à l'amnistie, des condamnés de droit commun, des insoumis, des déserteurs. Moi qui aurais tant voulu servir ma patrie et qui n’ai pu avoir ni cet honneur, ni cette joie, je reste banni! Je vieillis dans la tristesse cruelle d'un long exil. Dieu veuille qu'avant de mourir, j'ai la consolation suprême de revoir mon pays!»

 

Oui, comme cet appel royal se faisait pressant et comme je haïssais alors les misérables qui avaient fait perdre à la France un Prince si valeureux. Que de forces perdues! C'était un unanime regret, même dans la presse officielle. Le cadavre du chef de la Maison de France n'était plus à redouter! Quelle bassesse. Lui vivant, on avait cherché à salir sa réputation, on l'avait accusé de ne vouloir pas régner, et d'autres choses encore plus misérables. Maintenant, on portait aux nues le pur patriotisme de ce grand français. Partout perçait vraiment «le regret d’une grande force perdue.» Le 28 mars 1926, à 14h, entre les bras de la reine Amélie, du Docteur Récamier et du compte de Baritault, notre Prince avait rendu à Dieu son âme royale! Et, prévoyant les haines qui s'attachaient à son nom, il demandait si la République refusait à son cadavre l’entrée de la France, qu’on l’immergeât en mer, en vue des côtes de France. La dernière pensée de notre roi avait été pour son ingrate patrie.

 

Dans le même temps, je tournais mes regards vers son héritier, Monseigneur le duc de Guise, Jean III de France. Les royalistes connaissaient peu ce prince, naturellement simple, qui par déférence pour son cousin, s’était tenu éloigné de la politique. Sa noble conduite pendant la guerre, son rôle de grand agriculteur, ses études militaires très poussées étaient autant de titres à l'affection des fidèles de Monseigneur le duc d'Orléans. Marié à la sœur du duc d’Orléans, le duc de Guise se trouvait ainsi doublement héritier de Philippe VIII. Ses enfants dont l'un est Monseigneur le prince Henri, ajoutaient encore à la popularité naissante de celui que Dieu a fait chef de sa Maison et, nous l’espérons, Roi de France pour le bien de notre patrie.

 

Le Roi est mort! Vive le Roi!

 

Cette mort prématurée et tellement inattendue–puisque, quelques jours auparavant, j'avais lu chez Maxime une lettre du prince, où, d’Abyssinie–, de Addis-Abeba, je crois–il annonçait son intention de rentrer en Europe. Cette mort subite, dis-je, attrista beaucoup mon entrée en vacances.

 

Nous partîmes pour Saint-Pierre. Nos domestiques trouvèrent infiniment spirituel d'aller nous attendre à la gare Montparnasse! Il me fallut descendre à Mantes, rentrer à Paris, courir après les fugitives, les embarquer au train de l'après-midi, voyager en troisième… Arrivé à Fécamp et frêter une petite Citroën où l’on s’empila… Quelle aventure! 

 

Vacances assez banales, sauf au point de vue dessin. En effet, nous retrouvâmes à Saint-Pierre Gérard Ambroselli et ses neveux, Zézette, Jean et Cri-cri. Trois portraits à faire très amusants car les modèles étaient charmants, très gais et très sages pour poser. Le temps fut assez beau et les randonnées habituelles se passèrent le mieux du monde. Le dessin–en compagnie de Gérard-vint ajouter aux occasions de me distraire et je rentrais à Paris avec l'impression que je l'avais quitté la veille.

 

Dès la rentrée, je me préoccupai d'organiser la fête de Jeanne d'Arc à Stan. Nous récoltâmes pas mal d'argent pour la couronne. Je composai une équipe de commissaires à la tête de laquelle j'avais à assurer la liaison, car Jean Durand, alors Ministre de l’Intérieur, interdit tout défilé. À ouiche! Il eut beau déployer toutes les forces policières, il y eut bel et bien un défilé. Voici en quelques mots ce qui se passa. À 8h30, suivi de Jérôme de San Lazaro, je me rendais à pied à Saint-Augustin afin de m'assurer de l'importance et de la position des barrages de police. Rue du Général Foy, je passai assez longtemps à aider à la disposition des commissaires, enfin, nous allâmes, mon équipe et moi, prendre notre poste définitif. Vers 10h15, je me présentais avec Stan et mon équipe aux barrages. Il y en avait cinq à franchir pour atteindre la Madeleine. J'avais avisé nos amis et le rendez-vous était donné au barrage de la rue Boissy d’Anglas. Je fus séparé du groupe, laissant à Miguel de San Lazaro la direction du groupe et je restai seul avec une énorme gerbe de fleurs. Je réussis à franchir deux barrages aux environs de la Madeleine non sans ennuis. Je me débarrassai de mes fleurs au profit d'une délégation qui en avait besoin pour franchir un barrage et après avoir échangé de très nombreux coups de canne, de pied, de poing, avec la police, je retrouvai notre groupe morcelé. Je le ralliai et décidai de le conduire aux Pyramides, conformément aux ordres reçus. Deux barrages fermaient l'accès de la rue Royale. En taxi nous les franchîmes, d'autres en 

autobus. Rue de Castiglione, mon équipe se reformait. Il fallait traverser la rue de Rivoli. Je scindai l'équipe en deux et par de savantes infiltration, nous forçâmes le passage défendu par des municipaux, baïonnette au canon.

 

Nous étions dans les Tuileries! Je gagnais la place des Pyramides quand la police eu l'idée de nous fermer les Tuileries. Grâce à Dieu, il fut facile de sauter le fossé qui se trouve contre l'avenue Paul Déroulède. Là, ce furent bagarres et bagarres. Une charge et ses hasards me conduisirent aux côtés de Miguel. Il reçut là un coup de matraque qui m'était destiné et, quant à moi, je reçus d’innombrables coups de pieds dans les jambes. Il paraît que c'est une méthode pour faire reculer les gens! Près de moi, un patriote fut frappé si brutalement que le sang coula. On l'emporte tout sanglant. L'arrivée de Maxime et du colonel de Vesin rétablit les choses. Le préfet de police se vit débordé. Il parlementa et Maxime obtint que l'on pût défiler par deux. Ce qui fut dit fut fait. La dispersion fut très mouvementée. La course avec les escouades d'agents fut fort amusante et se termina rue de Castiglione aux cris de Vive le Roi!

 

J’eus pendant deux ou trois jours la jambe gauche enflée et couverte de bleus. Je laissais une canne entre les mains des sympathiques brigades centrales, ainsi du reste que pas mal d'amis. Dédé, Rivière et d'autres rapportèrent comme trophée des tronçons de leur cannes!

 

Telle fut en l’an 1926 la fête «nationale» de Jeanne d'Arc. Pour employer une terminologie très en honneur, c'est fort «consolant» et je conçus là une considération d'un genre tout particulier pour le personnel de la République, troisième du nom et aussi stupide que les deux précédentes.

 

Grâce à Dieu, la semaine suivante, un magnifique spectacle allait effacer cette douloureuse impression. Le samedi 15 mai, à Notre-Dame fut célébré un service funèbre en l'honneur de Monseigneur le duc d'Orléans sous la présidence du cardinal Dubois et en présence de Madame la duchesse de Guise. Comme j'avais obtenu la permission de manquer le collège ce jour là, je pus - comme représentant le collège Stanislas où avait étudié le Prince – prendre place avec le comité de l’Action Française. En attendant l'entrée officielle, je me chargeai de surveiller l'entrée de la porte droite de la cathédrale. Que de cartes j'ai distribuées à des royalistes de toutes conditions venus de toutes parts. J'entends encore deux dames, venant de Metz et me demandant où se procurer des cartes d'entrée. Quel regard de reconnaissance me remercia quand je donnai la carte si attendue. De Marseille aussi, deux messieurs étaient venus et par mon entremise, il réussirent à gagner les tribunes. Nous entrâmes les derniers, juste avant la Princesse. Dans le fond de la cathédrale, les étendard de l’Action Française attendait «la Reine». Nous montâmes au quatrième rang. J'étais derrière Maurras et Maxime. Derrière moi, le colonel de Vésins. Soudain les portes s'ouvrirent, les étendards frissonnèrent. Le service d’honneur s'avança et seule, à dix mètres en arrière de ses filles, Madame parut. Spectacle inoubliable! Toutes les têtes, tournées vers Elle s’inclinèrent, les dames esquissant une lente révérence. La duchesse montait lentement, un éclair de fierté dans les yeux, à la vue de cette foule respectueuse. Arrivée à notre hauteur et se tournant vers Maurras et Daudet courbés devant Elle, la Duchesse les salua avec une dignité et une simplicité émouvantes…

 

La messe et l'absoute furent admirables. Que de prières montaient de ces milliers de cœurs fidèles pour celui, qui, par amour pour sa patrie et pour maintenir les droits de sa Maison, eut la douleur de vivre et de mourir en exil! Le cardinal Dubois se retira après avoir salué la princesse. Le même cérémonial qu'à l'arrivée accompagna à la sortie de Celle que tous appelaient déjà tout bas «notre Reine». 

 

Le mois de juin m'apportait le surmenage de l'examen de fin de trimestre, le petit X, puisque je ne devais pas me présenter au concours, le programme n’étant pas vu complètement. Comme dérivatif au souci des compositions, je continuai l'illustration déjà commencée des vers de Miguel, car j'ai négligé–et cette omission est impardonnable - de dire que Miguel a une très jolie inspiration et des dons extraordinaires pour accommoder en vers mille choses charmantes dont le commun des mortels ne s'avise guère qu’en prose. Pour lui, comme pour Colette, les soucis du Bachot emportaient toute autre considération. Colette fut reçue, Miguel fut recalé à l'oral avec des notes vraiment injustes notamment en Anglais. Mais le Bachot à de ces niaiseries! Je ne songe guère à m’en étonner. Cette échec attrista le départ en vacances. Je finis ce que je pus pour distraire Miguel pendant ces derniers jours de séjour à Paris. Quelques jours encore et nous nous séparions. Je filai au Mans. J'emportais avec moi un nouveau cahier de dessin, pour lequel je devais inaugurer une série de sanguines, où j'ai peu à peu perfectionné mon procédé. Je dessinai de nombreux portraits. Ma Poucette d'abord, puis Alain, Monique, Pierre, Philippe, Guillemette, etc. tous assez jolis et heureusement ressemblants. Je passai de délicieuses après-midi à La Foresterie.

 

Au retour nous partîmes pour Presles. À 32 km de Paris! C'était dérisoire. La maison n'était pas mal, très joliment meublée et un peu sombre. Dans le jardin, un petit pavillon, avec une grande chambre, une salle à manger et une autre chambre. Ce pavillon fut mis à ma disposition dès l'arrivée des Pilliard, car je n'avais pas où me loger. Je m'installai très à mon aise, car ma chambre, cabinet de travail, était très vaste. Le seul ennui était que je n'y avais pas l'électricité. Le jardin était tourmenté avec un petit ruisselet assez sale, car la pluie brillait par son absence! Avant l'arrivée des Pilliard, nous allâmes à Eu et au Tréport. Visite intéressante à Eu où nous ne pouvons cependant pas pénétrer dans le château, bien que Colette connaisse la famille du régisseur. Nous restons assez longtemps dans l’église, où nous descendons au caveau des comtes d’Eu. L'après-midi au Tréport se passe très rapidement, la mer est calme et le temps au beau. Il y a un monde fou, très animé, très bigarré. Visite à l'église très jolie, très ancienne, bien perchée à mi-côte. Retour tardif à Presle.

 

Une lettre de Monique vint me donner des nouvelles de tous les habitants de la Foresterie. Une lettre à l'écriture bien appliquée, tout à fait posée, sérieuse, comme sait l’être ma petite amie. 

Nous fîmes de ces nombreuses promenades en forêt de Carnelle. L'on poussa jusqu'à Royaumont, l'ancienne abbaye où Saint-Louis séjourna souvent, jusqu'à Chantilly Ermenonville, Châalis dont les majestueuses perspectives sont si séduisantes.

 

Je dessinais fréquemment, désireux de me faire un album de petits dessins de genre. J'empruntai à Watteau beaucoup de gracieux modèles, que je traitai à la sanguine, aux trois crayons ou en bistre. Nous avions retrouvé des amis de nos cousins Goussault, les Granger. Ils voulurent bien mettre leur tennis à notre disposition et cela encore ajouta à nos distractions.

La fin d’août nous fit fuir à nouveau vers les Alpes. Quittant Argentières et ses glaces, nous préférions descendre un peu et nous rapprocher de Chamonix. Le lieu élu fut les Tines, où nous devions, par la suite, faire deux séjours enthousiasmants. Ma bonne habitude me fait reprendre mes notes quotidiennes bien que celles-ci soient assez négligées. Très morcelées ces notes, voici:

 

Les Tines. Jeudi 26

 

Mardi, charmant voyage de nuit. Les couchettes PLM sont très confortables. Passage au lac du Bourget, avec un clair de lune de toute beauté. Vision enchanteresse. Arrivée mouvementée aux Tines. Colette admire. Finalement, nous échouons à l’Hôtel de la Forêt, où nous nous plaisons beaucoup. Nos chambres, malheureusement, manquent de vue. Temps admirable. Hier nous avons visité les endroits immédiats et repéré les sentiers. Ce matin, longue promenade à Argentières. Je retrouve mes souvenirs de l'an dernier et je monte un peu vers Lognan, seul, à travers les sapins et les rochers …Le temps  se couvre à midi, mais reste beau. Il n’y paraîtra plus demain.

 

Vendredi 27

 

Col de Balme. Rien de neuf. Même descente, moins fastidieuse par Vallorcine. Colette et maman redescendent par Montroc et le Tour.

 

Samedi 28

 

On se repose. Sans commentaires.

 

Dimanche 29

 

Messe à Chamonix, retour hâtif pour déjeuner. Il fait très chaud. L'après-midi, nous allons à la cascade de Barberme, au-dessus de Vallorcine dans un site très sauvage. Très beaux aperçus sur le Mont-Blanc, le Goûter, à travers la brèche du col des Montets. 

 

Lundi 30

 

Ma première visite à la mer de Glace, cette fameuse mer de Glace. Bien moins banale que je ne croyais. D'abord le temps est idéal. Le fond des glaces, de l’Aiguille du Moine aux grandes Jorasses, est de toute beauté. Une splendeur. Grâce à un nouveau piolet, je fais des prouesses sur la glace avec Colette. Nous nous amusons beaucoup et rentrons tard. De cette mer de Glace!

 

Mardi 31

 

Repos. Toujours sans commentaires. Nous allons à Chamonix. On paresse sur la terrasse de l'hôtel où l'on flâne dans les bois environnants.

 

Mercredi 1er

 

Papa et moi grimpons à la Fligère et au pied des Aiguilles Rouges. Vue magnifique sur la chaîne. Nous apercevons par-dessus Balme un bon morceau des Alpes suisses. De magnifiques aperçus sur la mer de Glace et le glacier du Tour.

 

Jeudi 2

 

Mais 19 ans se fête aux Bossons, où j'ai la malencontreuse idée de faire une chute assez grave, arrêtée par mon piolet. J'ai les mains en sang.

 

Vendredi 3

 

En route pour Aix! Courte visite à Annecy, que l'on montre à Colette. À 7h, nous sommes à Aix. Sur la recommandation de Tante Marie, nous descendons à l'hôtel de Genève. Alors là c'est merveilleux.

 

Samedi 4

 

Tante Marie vient nous prendre en auto à dix heures. Nous allons faire quelques courses à Chambéry. Pendant que les mamans s’occupent, Colette, Maggy et moi courons dans les vieilles impasses où pénètre à peine le jour. Très vieille ville, archi intéressante, avec son château ducal, ses antiques arcades, ses maisons fleurant la vétusté, la sénilité et solides en diable. Pour mémoire, saluons les éléphants du Général de Boigne… Nous revenons à l’Ermitage, la charmante villa des Renon. Comme j'ai oublié mon appareil de photo, je redescends le chercher, en même tant que Geva et Maxime. Je remonte avec eux. En route, on rencontre François Daudet, mon futur petit ami de Stan. Déjeuner tardif. Maxime raconte l'histoire de son monument «A la misère humaine» et les avatars du cardinal Dubois. On parle - sujet alors peu brûlant - de la lettre du cardinal Andrieu, que Maxime croit sans effet grave.

En route pour Hautecombe. Traversée rapide du lac, visite du tombeau des reines d’Italie. Tout cela à grande vitesse. Au retour, tante Marie nous conduit à la Chambolle, un sommet qui domine le lac du Bourget et d'où la vue est magnifique et vraiment impressionnante, car l'on domine absolument à pic la route qui longe le lac à plus de cinq cent mètres. Goûter très réussi.

En rentrant à l’Ermitage, Colette passe avec Maggy chez les Daudet où elle manque se faire embrasser par Léon Daudet, très en verve qui à propos du feu d’artifice que l’on va tirer le soir, demande à ses enfants ravis s’ils connaissent le fils d’Artifeu! Maxime lui, menace Guy, s'il n'est pas sage d'un feu d’arti… fesses! Je fais danser mes petits cousins, et après qu’on les a embrassés, ils montent se coucher. Soirée délicieuse. Le temps est chaud et beau, la nuit est admirable.

 

Dimanche 5

 

Après la messe, je monte faire le portrait de Philippe. Mon petit cousin est délicieux, adorablement sage. Son portrait est très réussi. Géva est enchantée et Madame Real del Sarte me complimente beaucoup. À dix heures du soir, nous sommes à Paris.

Ici, tandis que se ferme la période des voyages, s'ouvre la lamentable période inaugurée par la lettre du cardinal Andrieu contre l’Action Française. C'est une longue parenthèse que j'ouvre pour écrire ici le détail d'événements dont l'enchaînement n'a paru qu'après un an d'enquête. 

L’Action Française n'est pas un parti. Elle réunit tous les français désireux de voir la France retrouver le sens catholique et royal de sa mission traditionnelle. Elle s'adresse à tous ceux qui placent l'intérêt et l'honneur de la patrie au-dessus de toutes les mesquines questions de convenances personnelles. Les royalistes seraient obligés présentement de faire de la politique et c'est précisément dans le but d’éviter - à l’avenir - les divisions qui résultent des luttes politiques. En fait, le Roi étant revenu, les luttes politiques n'ont plus de raison d'être et les Français–enfin–sont rendus à leurs fonctions respectives d'intellectuels, de producteurs, d’officiers, que sais-je encore. En un mot, double but: d'une part rendre à la France un gouvernement fort, indépendant des luttes électorales, donc héréditaire, c’est à dire lui rendre le Roi, d autre part assurer à chaque individu, en le laissant à l'écart du gouvernement, auquel–en général–rien ne le destine, la liberté de travailler au développement du patrimoine familial dans le cadre corporatif, lui-même compris dans l'immense cadre national. La doctrine de l’Action Française est donc une doctrine uniquement et essentiellement politique. Il se trouve que l’A.F. réunit, sur ce terrain politique, des catholiques, croyants sincères et des incroyants, voire des protestants et des israélites, uniquement préoccupés du salut national. La majorité des amis de l’A.F. est catholique. Cependant pour que l'union continue sans réveiller les disputes d’ordre religieux - et hélas les guerres de religion ont laissé de cuisants souvenirs - l’Action Française ne peut donner à son activité politique des motifs d'ordre religieux. Ainsi, lorsque l’A.F. proclame que l’Eglise Catholique a droit en France à une situation privilégiée, elle le fait en se fondant sur les admirables services rendus par l’Eglise à la cause nationale. Il va sans dire que les catholiques joignent à ces motifs d'autres, tirés de leur foi profonde et de leurs convictions les plus chères. Il reste – quoi qu'il en soit - que l’A.F, s’étant donné pour tâche de rétablir la monarchie traditionnelle, (incarnée par Monseigneur le duc de Guise), monarchie très chrétienne, sert par cela même l’Eglise.

 

Et c’est ici que va commencer le procès de tendance. Cette certitude que nous avons, à l’A.F. - et - cette volonté–de servir l’Eglise nous oblige pour cela même à nous appuyer sur les encouragements de l’Eglise. En effet, afin d' être sûrs que nous ne la compromettons pas en l’engageant plus ou moins dans des questions d'ordre essentiellement - nous ne disons pas uniquement - politique, il est nécessaire que nous consultions les membres autorisés du clergé sur l'orientation à donner à nos revendications catholiques en tant que monarchistes. Et, comme précisément nous avons reçu de précieux et nombreux encouragements de la part d’Ecclésiastique très haut placés, d'autres ecclésiastique nous ont accusés d’embrigader l’Eglise dans une œuvre politique et – qui plus est - de nous servir de l’Eglise comme d'un agent de propagande en faveur de nos convictions politiques. Cette accusation est d'une insigne mauvaise foi, car l’Eglise ne s'est jamais fait faute d'accepter les avances faite par un pouvoir temporel même indifférent en soi à la doctrine du Christ. Et même, dans certains cas, comme celui de Napoléon, l’Eglise a passé sur bien des intrusions politiques dans le domaine spirituel pour accepter les nombreux avantages qu'on lui offrait en échange des garanties d'ordre et de discipline qu’elle donnait. Le mot même de Concordat indique bien que tel pays traite avec le Saint-Siège, comme avec un pouvoir temporel. Et il faut se moquer du monde pour prétendre que, dans de telles conditions et après les exemples donnés par l’Eglise d'un opportunisme –quelques fois scandaleux– l’Eglise ne peut admettre pratiquement qu’on la traite parfois en puissance temporelle. Car, remarquons le, c'est la grande accusation dirigée contre l’A.F.: «l’A.F. prétend se servir de l’Eglise à des fins temporelles.» Pour qui connaît les chefs de l’Action Française et l'opportunisme des gens d’Eglise, un tel reproche est admirable! C'est un fait que l’Eglise est une pourvoyeuse d’ingrats. Cela n'ôte rien à son caractère divin, cela ne l'insulte en rien. C'est une constatation, un fait contre quoi rien ne prévaut, car ne fût-ce que dans le cas de l’A.F., on en trouve un nouvel exemple flagrant. Les zouaves pontificaux étaient tous royalistes, de tradition et de cœur, les magistrats et les officiers qui ont brisé leurs carrières lors des Inventaires étaient pour la plupart royalistes, les vrais et désintéressés défenseurs de l’Eglise ont été les royalistes et aujourd'hui, on vient les accuser de se servir de l’Eglise! Il n'y a qu'un mot pour qualifier une telle accusation, c'est de la lâcheté! 

 

Sur ce premier chef d'accusation, d'autres vont venir se greffer du fait que le maître de l’A.F.– Charles Maurras – était  incroyant. Ici, admirons la prudence du cardinal Andrieu, qui, pour ne pas avouer les mesquineries d’une question de personne, a accusé les «dirigeants de l’Action Française». Cela est plaisant. Léon Daudet, le comte de Vesins, l'amiral Schwerer, Paul Robain, Pujo, Maxime, seraient, à en croire le serein cardinal, des athées, des agnostiques – les deux? –Des naturaliste, des hérétiques etc… Pourquoi? Parce qu’ils professent que la politique exerce une primauté de droit sur tous autres aspects de l'activité humaine. Le maître n'a-t-il pas écrit: Politique d'abord? Parce qu’ils professent qu’ils doivent aboutir à la restauration du roi «par tous les moyens!» Enfin - attention - parce qu’ils proposent de rétablir l’esclavage! Oui c’est écrit. Le pieux cardinal a dit «qu’ils proposent de rétablir l’esclavage». Voilà l’acte d’accusation, ou du moins l’essentiel.

 

Répondons:  Pour le premier chef. Maurras a affirmé que, dans l'ordre des moyens et non dans celui des fins, la politique prime les autres problèmes. Au reste, voilà ce que dit Saint-Thomas d’Aquin: Finis est primum in intentione et ultimum in executione, c’est à dire: «La fin - le but -  a primauté dans l’ordre d’intention et postériorité dans l’ordre d’exécution.» Il en résulte qu’au lieu de descendre de la considération de la fin à attendre à celle des moyens subordonnés jusqu'au dernier de tous, il commence –il désignant le pouvoir politique– par appliquer ce moyen infime et s’élève ensuite peu à peu aux moyens supérieurs capables de réaliser ou d'obtenir la fin poursuivie. De ce point de vue, on peut dire dans l'ordre d'exécution, et Maurras a toujours précisé ce point: «Politique d'abord, car, pour que la vie sociale soit possible, il faut que la cité, ou le pays, soient habitables et que les perturbateurs soient expulsés ou mis à la raison.  Saint-Thomas, au reste, pose comme principe que «la politique domine le social, puisqu'il n'est point de société sans état et point d'état sans politique.» La vie en société étant de toute évidence nécessaire à l'individu pour atteindre sa fin, cette société est elle-même sujette à des lois politiques dont l'application prime toute autre considération. Ainsi, avec cette réserve faite par Maurras que son adage s'applique à l'ordre d'exécution, le «politique d'abord» est absolument conforme aux principes de la politique chrétienne.

 

Pour le second chef: le terme «par tous les moyens» est employé dans de nombreuses encycliques par Léon XIII, Pie IX, Pie X et d'autres souverains pontifes, et il veut toujours dire «par tous les moyens honnêtes». Nous n'entrerons pas plus avant dans cette discussion misérable, où la mauvaise foi des adversaires de l’A.F. éclate au grand jour. Et si la formule est équivoque, que l’Eglise commence par la rayer de ses documents officiels.

 

Pour le troisième chef: c'est un rire inextinguible qui accueille ce chef d'accusation. Je ne puis me rappeler sans rire à mon tour les hochements de tête accompagnés d'un long sourire du père Sous-Prieur de la Bénédictine de Solesmes quand je lui  demandai si réellement, il considérait Maurras comme un partisans de l'esclavage! Non, réellement, c’est bouffon et quand une telle insanité se trouve signée par un cardinal, on a le droit de se demander si ce Prince de l’Eglise dispose de toutes ses facultés. Le pire est que la lettre, désormais immortelle, du Primat d'Aquitaine a été approuvée par le Pape et qu’ainsi le très Saint-Père a fait sienne une accusation qui serait odieuse si elle n'était ridicule. Et c'est sur ce document qu’allait se déchaîner sur les âmes catholiques le mouvement le plus méprisable qu'on puisse imaginer, concert de haines aveugles et d’ envies inavouées. Et d'abord, parce que tout ce qui pêche en eau trouble ne peut qu'avoir horreur des principes clairs et de la loyauté reconnue de l’A.F.

Jalousie ensuite car, comme me le disait le trop célèbre abbé Renaud: «Je vois dans l’Action Française un concurrent. J'estime, comme prêtre, qu'une renaissance française n'est possible qu'après un retour à la foi et l’Action Française place le moyen politique avant.» L’abbé était en effet dans son rôle de prêtre en soutenant que le retour à la foi entraîne une renaissance, mais l’histoire est là pour affirmer que ce retour à la foi est impossible lorsque l’impiété et l’anticléricalisme sont les doctrines essentielles et «intangibles» du gouvernement. On l'a bien vu après le Ralliement. L’Eglise donnait à la République un gage sans précédent qu'elle n'avait jamais donné aux gouvernements antérieurs cependant amis de la religion chrétienne! Et, en remerciement, la République chassait les religieux et violait les tabernacles! Qui donc en vérité a pratiqué le premier «Politique d'abord» de Léon XIII ou de la République? L’A.F. viendrait ensuite… et encore! Donc jalousie. Le plébiscite donnée en Belgique par la jeunesse en faveur de Maurras, plébiscite hautement renouvelé en France, avait ému l’Eglise, jalouse à un point inimaginable de préserver la jeunesse de toute emprise profane. Admettons cependant que cette jalousie bien comprise soit légitime comme légitimes, les craintes inspirées par un incroyant. Admettons un instant que l’Eglise cherche à parer au «danger qui pourrait faire courir à ces «bons jeunes gens»  un maître politique non-croyant. Notons ce double conditionnel du «danger qui pourrait» et voyons ce qui a été imaginé pour enrayer le «mal».

 

Chronologiquement,

 

25 août c'est la lettre Andrieu, monument d'inconscience et de mensonges–volontaires ou non, peu importe!

 

5 septembre, lettre laudative du Saint-Père. Entre-temps aboiements de la presse démocrate et «silloniste». Premiers symptômes de haine.

 

8 septembre, réponse des dirigeants catholiques de l’A.F. attaqués.

 

16 septembre, réponse des étudiants Camelots du Roi et commissaires à l’Action française. Lettre du colonel de Vesins au Saint Père.

 

12 octobre, lettre de Maurras au Saint Père.

 

Après les réponses indignées, mais respectueuses, des dirigeants de l’A.F. et des amis de l’A.F. par l'intermédiaire du colonel de Vesins, il convenait que l’A.F. cherchât à se prémunir contre les «dangers» signalés par le pape car, notons le et cela est indispensable, le pape n'a jamais parlé que de «dangers» et il n'a jamais condamné une doctrine - qui étant politique - ne relève pas de son autorité pontificale. Ce point est d'autant plus important à préciser que c’est à raison de ces dangers possibles que l’A.F. chercha à donner satisfaction aux remontrances du Saint-Père.

Donc, le 20 novembre, le colonel de Vesins adressait à Son Eminence le cardinal archevêque de Paris et aux Supérieurs ou Provinciaux d’ordres de l'officialité de Paris une lettre dans laquelle il demandait à «l’Eminentissime ordinaire» de vouloir bien indiquer des prêtres pour donner, au nom de l’Eglise, à l’A.F. un enseignement religieux susceptible d’entraver les «dangers» signalés.

Le 4 décembre une circulaire confidentielle de la Nonciature interdisait aux Eminentissimes ordinaires de déférer à la demande de l’A. F.

 

L’aveu était clair. Rome ne voulait pas accueillir ses fils, elle les rejetait, sous prétexte de ne pas mêler la politique à la religion. Qui donc mêlait la politique à la religion sinon ceux qui accusaient une doctrine politique de ne pas s'occuper assez de religion! 

 

La crise apparaissait inévitable. Malgré les commentaires palliatifs de certains Évêques, l’Affaire allait son cours. Elle est encore pendante. Ce fut dès lors une suite ininterrompue d'insultes dans la presse «catholique» contre l’A.F., de rigueurs édictées contre les «réprouvés», les «hérétiques» etc.… Tous les arguments furent bons. On n’eut pas honte d'aller chercher, dans les premiers livres de Maurras certaines phrases malheureuses. On les tronqua, on supprima les incidentes et on se livra à un démarquage scandaleux des textes, sous l'œil approbatif de Rome.

 

Dès le début de cette lamentable affaire, j'avais deviné les motifs politiques. Je dis je car je veux exposer ici les motifs qui m'ont déterminé à rester comme tant d'autres, fidèle à l’A. F. tout en conservant comme on le verra par la suite, mes titres et prérogatives dans le petit cercle religieux de Stanislas. Je connaissais la réputation du cardinal Gasparri, je me rappelais la joie des partis démocrates à l'élection de Pie XI. On chuchotait dans les milieux diplomatiques qu'une intrigue louche avait été menée au Conclave contre le cardinal Merry del Val, et la faveur du pape pour l'Allemagne ne faisait de doute pour personne, depuis l'inconcevable lettre «sur la Ruhr». Les souvenirs du cardinal de Cabieres n'étaient pas encore oubliés. Déjà en 1914, l'Allemagne avait, par l'intermédiaire de ses agents à Rome, fait instruire le procès de Maurras et Pie X avait protégé l’Action Française dans des circonstances qu'il importe de rappeler:

 

Voici un document

 

Ave Maria

Très Saint Père,

Un grave débat où votre Sainteté a été appelée à intervenir, cause en France et dans le monde entier une grande émotion. Je crois de mon devoir, très Saint-Père, de vous apporter un témoignage qui me paraît de nature à intéresser votre Sainteté. Le témoignage ne peut vous être apporté d'une façon pleinement désintéressée que par moi-même. Je suis le seul survivant des deux interlocuteurs. La scène s'est passée, entre Sa Sainteté le pape Pie X et moi, dans ce même appartement où votre Sainteté doit sans doute recevoir encore les privilégiés qu'elle daigne honorer d'une audience privée. C'était le 15 janvier 1914, à 11h du matin. Le Saint-Père m'avait accordé, comme il daigne le faire chaque fois que paraissait un nouveau volume du Commentaire français de la Somme Théologique, une audience privée. Je devais lui offrir le tome VIII. En même temps, j'avais reçu la mission de Lui offrir le livre de G. Valois, qui est intitulé «Le père». Après avoir offert mon volume, j’offris  aussi celui de Georges Valois. D'un mot, je dis au Saint-Père l'objet et le caractère du livre, et j'ajoutai que son auteur était un converti venu de très loin. Je dis aussi au Saint-Père que c'était un écrivain faisant partie de l’Action Française et qu'il s'était converti par l’heureuse influence de l’Action Française sur lui.

Le Saint-Père me dit alors : «Ah! cette action française à laquelle on en veut tant maintenant!» Sur cette parole du Souverain Pontife, je m'enhardis à exprimer très simplement la conviction qui était mienne à ce sujet. Il me répondit: «J’ai là, sur mon bureau» et il plaçait sa main sur un volumineux dossier qui était sur son bureau, à droite, «des lettres que m’ont écrites plusieurs évêques de France en faveur de l’Action Française. Il daigna m’en nommer plusieurs, ajoutant: «Et ce sont les meilleurs.» Sur ce mot, je me permis de dire «Oui très Saint Père, on a même remarqué, ici à Rome que vos meilleurs amis sont tous amis de l’Action Française»–«Le so» me répondit-t-il. J’ai encore dans l'oreille le son de ces deux mots prononcés par le Saint-Père avec  une énergie qui me frappa. Je remis alors au très Saint-Père une plaquette de quelques pages qui était la reproduction d'un article déjà paru dans le «Bloc catholique de Toulouse». C'était une défense de l’Action Française. Elle était signée XXX, docteur en théologie. Je dis au Saint-Père: «Très Saint Père, je me permets d'offrir ce modeste travail, écrit en faveur de l’Action Française. Il n'est pas signé mais votre Sainteté en reconnaîtra l'auteur». Il me remercia, me félicita d'avoir écrit cet article et daigna le joindre au dossier qu’Il avait sur son bureau, parmi les lettres de N.N. S.S. les évêques de France. Puis, nous parlâmes de Maurras dont je me souviens qu’Il prononçait le nom à l’italienne, disant «Maourras». Il me dit les griefs qu'on articulait contre lui, notamment son incroyance, les traces de paganisme qu’on rencontrait dans quelques-uns de ses ouvrages et spécialement dans Anthinéa.

 

Je lus au Saint-Père une lettre que je venais de recevoir de Charles Maurras, dans laquelle celui-ci ne méconnaissait pas ce qu'il pouvait y avoir d’insuffisant ou même de répréhensible dans les écrits en question, mais où il se défendait d'avoir jamais voulu attaquer, par esprit d’irréligion, les Vérités dont l’Eglise a le dépôt. Il disait aussi son inquiétude d’âme, à l'endroit de ces vérités de la foi qu'il n'avait pas le bonheur de confesser. Et il laissait entrevoir combien lui paraissait heureux ceux qui pouvaient le faire. Le Saint-Père s’était penché pour mieux entendre cette lecture. Quand elle fut terminée, il me dit, avec un accent d’infinie tendresse : «il poveretta!» Puis il ajouta sur un ton de prophétie: «Mais il se convertira!»

 

Pour le moment, et le prenant tel qu'il était, Il ne craignait pas de me dire : «Il nous fait plus de bien comme cela que s'il était des nôtres, car défendant l’Eglise comme il La défend, s'il était des nôtres, on dirait qu'il fait son métier. Tandis qu’étant comme il est, son autorité est plus grande dans les milieux où il nous défend». J’eus la pensée de dire au Saint-Père qu’en effet, il en était un peu de l’incroyance de Maurras et de quelques-uns de ses amis à l’Action Française comme de l’habit d’homme de Jeanne d'Arc. Dieu en disposait ainsi pour un plus grand bien. Le Saint-Père devait alors me témoigner l'extrême confiance de me dire: «Adosse, sone riunti contra.» Il s'agissait de la réunion de la Congrégation de l’Index qui se tenait à ce même moment pour condamner Charles Maurras. Devant cette confiance du Saint-Père, j’eus la hardiesse de répondre: «Le So Santo Padre; ma che si fara?» Et le Saint-Père de me déclarer, avec un regard de lumière accompagné d’un geste tranchant comme une lame d’acier que je n’oublierai jamais: «Faranno niente!»

 

Il venait de me laisser entendre qu'il avait vu le dessein secret de toute cette campagne contre Charles Maurras et son Action Française. On voulait, à la faveur d'une équivoque et en s'appuyant sur des motifs réels de par ailleurs mais qui n'étaient ici que des prétextes, atteindre ce qu'il y a d'excellent dans Charles Maurras et dans son œuvre comme chef de l’Action Française: la doctrine et la restauration de l’ordre contre tous les fauteurs de désordre maçonnique et révolutionnaire.

 

Comme j'allais me retirer, je me mis à genoux pour avoir la bénédiction du Saint-Père. Tandis que j'étais assis à ses pieds et qu'il me bénissait, je lui dis : «Très Saint-Père, si je l'osais, je vous demanderais une bénédiction spéciale pour Charles Maurras.» «Oui, me répondit-il, envoyez-la lui de ma part.»

 

Voilà très Saint-Père, le récit fidèle de cette audience historique. Le Saint-Père ne m’ayant pas demandé le secret, mais au contraire ayant voulu que son intervention fût connue, j'en fis immédiatement le récit que j’envoyai sur l’heure au principal intéressé. De nombreux amis l'ont connu depuis. J'ai pensé, très Saint-Père, qu'il était de mon devoir de le faire connaître aussi à votre Sainteté, au moment où l'on revient sur une cause qui avait déjà motivé une intervention si souveraine de la part de sa Sainteté Pie X. Daignez agréer, très Saint-Père, l'hommage de toute ma piété filiale avec laquelle j'aime à me dire, implorant votre paternelle bénédiction de votre Sainteté,le fils très humble et très obéissant en N.S.

 

La lettre  est signée:

Frère Thomas M. Pegues des frères Prêcheurs, Maître en théologie, ancien professeur au Collège Angélique, Régent des Etudes au Collège Théologique de Saint Maximin (Var), France.

L’auteur est donc un des maîtres incontestés de la théologie contemporaine, une des lumières de l’ordre Dominicain.

 

Ce document, véritablement historique, prouve mieux qu'aucun autre ce que le Saint Pape Pie X faisait en protégeant Maurras. Comment expliquer sinon par des raisons d'ordre politique, pas des «combinazzione», une condamnation Pontificale, après l'intervention souveraine du glorieux Pontife. Aux articles fielleux de la Vie Catholique succédèrent bientôt quelques brochures, sorties de la même officine où l'on ne prétendait rien moins qu'à montrer que l’A.F. n'avait en aucune manière  servi l’Eglise. À Rome, il était impossible de se faire entendre. L’A.F. avait fait des démarches très précises (plus tard on en saura le détail) afin d' obtenir une audience du Saint-Père. L’Eglise était butée, on voulait la disparition du mouvement royaliste en France. Quand parut le texte de l’allocution Consistoriale, l’Action Française répondit, que, mise en demeure de renoncer à son activité politique, elle ne pouvait déférer à un tel ordre qui dépassait les limites de l’autorité Pontificale et elle appelait devant l’opinion le procès politique dont elle assurait une fois de plus que Rome n’avait pas à connaître.

 

Il n'est pas nécessaire de rappeler les vexations et les mesures d'exception qui se sont abattues depuis sur les catholiques d’Action Française. Rien n'y a fait. Ils sont restés fidèles au roi et à l’A.F. L’ expérience, une fois de plus, établit que le Pontife romain, chaque fois qu'il sort de son domaine spirituel, s’expose à des fautes et à des erreurs douloureuses. 

 

L'expérience est sérieuse pour ma génération. D'ailleurs, j'allais bientôt être moi-même la victime de la persécution. Le reste de ces «souvenirs» sera bourré d'incidents qui ont trait à cette malheureuse querelle de l’Action Française et de Rome. Comme disait le vénéré primat des Gaules, Cardinal Maurin: «Nous souhaitons que l’affaire en reste là!» Plût au ciel que rome eut écouté ce «casse-cou!»

 

Ceci dit, revenons à nos moutons. La fin des vacances vint très vite. Je passai beaucoup de temps à lire un certain nombre d'ouvrages d’Alphonse Daudet que je ne connaissais pas: Numa Roumestan, Fromont Jeune et Risles aîné, les Rois en exil, le Nabab. Quelle splendeur. Quelle vie dans ces romans où, à tout instant palpite un souvenir de l’auteur. Dans le Nabab surtout, l'évocation de la société du second Empire est admirable. Comme la belle lumière du Midi inonde ces pages vibrantes dont la simplicité fait le charme si prenant. Et à lire ses chefs-d'œuvre dans mon pavillon, entouré de fleurs, de fougères, j'oubliais le retour des dures études mathématiques.

 

Il va cependant. Je rentrai à Paris pour apprendre le succès de Miguel au baccalauréat. Nous avions dès lors un an encore à passer ensemble à Stanislas. Dès le premier jour de la rentrée, j'appris qu'un camarade de François Daudet, en cinquième, l'avait brutalisé. C'était à la sortie. En remontant la rue de Rennes, je rencontrai Madame Léon Daudet. Je me présentai. Elle m’accueillit d'une manière charmante. Le pauvre François avait reçu dans l'œil gauche un violent coup de poing. Je m'efforçai de persuader Madame Daudet qu’il s'agissait là d'une brimade envers un «nouveau» et non d'une méchanceté vis-à-vis du fils de Léon Daudet. D'ailleurs j'assurai à Madame Léon Daudet que le brutal agresseur de François recevrait une bonne leçon. Ce fut fait. L'exemple suffit, car François fut désormais tranquille. Il ne cessa de se faire de nombreux amis parmi ces jeunes qui forment, dans notre groupe Philippe VIII, une phalange très passionnée…

 

J'étais donc en Spéciales Verte. Que dire de mes études que je n'ai déjà dit? Elles se poursuivirent dans la monotonie et la médiocrité… Dans l’austérité aussi car le travail me laissait peu de loisirs.

 

L’Action Française, pour répondre à l'agression de Rome, tint deux réunions magnifiques au Cirque de Paris et à la salle Wagram. Le succès fut énorme et ajouta certainement à la haine de nos adversaires.

 

Une nouvelle amitié vint me rendre plus agréable la classe de Spéciales. Je retrouvai à Stan les de Lamarzelle, que j'avais connus chez les Frères. Je me liai tout particulièrement avec Robert, qui faisait les mêmes études que moi. Aujourd'hui, il est Bénédictin, à Solesmes, et notre affection n'a pas cessé de croître. Nos goûts et notre éducation sont si semblables qu'il n'est guère de pensée que nous n'ayons en commun. Notre intimité, même à distance, est de tous les instants.

 

Au retour des vacances du jour de l’an, passées au Mans où je fis encore quelques portraits, j'écrivis à Charles Maurras la lettre suivante:

 

Cher Maître,

 

Ce m’est une joie profonde, au milieu des épreuves qu'il plaît à Dieu de nous envoyer, de venir vous adresser au nom de 150 de mes camarades, les vœux ardents que nous formons pour vous.

 

Le collège Stanislas, où je suis fier d'être le délégué de l’Action Française, ne saurait oublier que Monseigneur le duc d'Orléans a étudié sur ces bancs où nous apprenons à servir son Héritier.

 

Nous sommes catholiques d'abord. Des prêtres et des camarades peuvent témoigner que le délégué de l’A.F. a, presque seul, défendu le très Saint-Père contre de nombreuses attaques et qu'il a été le premier à proclamer son absolue soumission au Magistère Apostolique. Ce n'est pas nous qui en matière dogmatique prononcerions le «Non Serviam». Nous avons donné notre âme à Dieu, notre vie au Roi. Dieu nous demanderait-t-il de reprendre au Roi ce qui lui appartient? Il nous apparaît qu'il faut nous retrancher sur le terrain politique. C'est comme français que nous adhérons à l’Action Française. Dieu n'a point de partisans et il n'a pas besoin du secours des humains pour régner. La France, au contraire, ne peut se passer de nous. Si elle est en si honteuses mains, n'est-ce pas un peu la faute de ceux qui, à l'heure de la persécution, n'ont pas su défendre Dieu jusqu'au bout? Cette faute, nous la réparerons. Dieu le veut! Mais ce que rien au monde ne peut nous faire admettre, c'est que la politique Vaticane, sous prétexte d'instaurer un Empire central catholique revête l’Internationalisme d'une autorité qu'elle n'a pas. Comme notre roi Philippe le Bel nous disons! «Trop Allemand!» Nous, les jeunes, dont la vie est par avance livrée au Teuton, avons quelques droits de parler. Le sacrifice de notre existence est fait! Qu’au moins il soit utile. Dieu nous a fait chrétiens et français. Nous voulons vivre et mourir chrétiens et français. Qui donc nous en blâmerait?

 

C'est dans ces sentiments, Cher maître, que j'ai le grand honneur de vous assurer, ainsi que nos chefs de l’A.F. de notre indéfectible attachement. J'ai foi que, dans un avenir prochain, Dieu renouvellera la face de la France. Comment ne serions-nous pas à vos côtés, jusqu'au bout, pour faire rentrer en maîtres au foyer de la Patrie et Dieu et le Roi.

 

Pour le groupe de Stanislas.

René Goussault

17 janvier

 

Six cent cinquante francs étaient joints à cette lettre.

 

Cette lettre paru le 21, jour anniversaire de la mort de Louis XVI. À 4h30, j'étais appelé par le Directeur. Il m'annonça qu’ayant «gravement compromis» le collège, j'étais provisoirement mis à la porte. Je protestai. Il ajouta que la «sentence ne dépendait plus uniquement de lui». En effet Papa l’ayant vu le lendemain apprenait que le cardinal archevêque désirait me voir le lundi 24.

 

Je vis le cardinal. Ma parenté avec Maxime l’incita à la prudence. Il fut d'une grande bonté, alla même jusqu'à dire que «S’il eût été à ma place, il en eut peut-être fait autant!» Il voulu bien me faire, à sa manière, l'historique de l'affaire de l’A.F. Je ne dissimulai point à son Eminence qu’ayant vu la veille Maurras et Maxime, j’avais à remplir une sorte d’«ambassade morale». Le cardinal voulu bien ajouter à ses paroles d'autres très bienveillantes pour l’Action Française. Il me dit qu'il avait joint ses instances à celles du Cardinal de Cabrières pour éviter une condamnation de Maurras et, comme j'insistais sur la nécessité d'un apaisement, son Eminence voulut bien me laisser entendre qu’Elle s’y employerait. Je crus ces bonnes paroles et exprimai au cardinal ma gratitude et celle que ne manquerait pas de ressentir toute l’Action Française si les prévisions de son Eminence se réalisaient. L'avenir allait révéler bien autre chose… Le cardinal m’autorisa à rentrer le lendemain à Stanislas où, dit-il, l'on avait que des éloges à me faire. Il m'engagea à conserver la présidence des Conférences du Saint-Sacrement et me demanda si je voudrais m'engager à ne plus faire de politique active au Collège. Je promis. Bref, l'entrevue me laissa une excellente impression. Le chanoine Martin trouva que le cardinal était trop bon. Il prétendit réunir un Conseil de Discipline et me fit lantiponner trois jours, ce contre quoi je protestai vainement. Je dus donc démissionner de mes fonctions de délégué général et une démission donnée dans de telles conditions n’a qu’une valeur très relative.

 

D'autres brimades suivirent que je veux oublier par bonté pour ceux qui ont eu la mesquinerie de les encourager ou d’y prendre part.

 

Dans le même temps, j'avais été voir Léon Daudet chez lui pour une affaire dont je ne puis rien dire. Daudet fut très amusant et je restai longtemps avec lui et sa femme. Au moment où je me levai, il alla chercher son dernier roman, le sang de la nuit, me le dédicaça et me le donna. Je le remerciai très vivement et, comme je m'excusai de l’avoir longtemps retenu, il me dit, en me serrant la main: «Non, non, cher ami, ne vous excusez pas. Cela en valait la peine».

 

Dès ma mise à la porte de Stan, j'avais écrit un petit mot à Monseigneur le prince Henri, alors au Maroc, à Larache. Aussitôt rentré à Louvain, le prince m'adresser la lettre suivante:

 

Manoir d’Anjou, Louvain, le 23 février 1927

 

Mon cher Goussault,

 

C'est au moment où j'allais quitter le Maroc que j'ai reçu la lettre que vous avez été assez aimable pour m'écrire le 27 janvier dernier. Mon père et moi nous vous remercions ainsi que vos camarades, des sentiments de fidélité que vous voulez bien nous exprimer et nous faisons le vœu, en ce qui vous concerne personnellement, que votre carrière n’en souffre pas. Je serai donc heureux de connaître les résultats des démarches de son éminence le cardinal de Paris. En vous remerciant encore, mon cher Goussault, je vous prie de me croire, ainsi que vos camarades.

 

Votre très affectionné

Henri de France

 

Cette lettre me récompensa de tous les ennuis précédents et je reçus bientôt une seconde lettre du Prince où il se «réjouissait de l'heureuse solution» donnée à mon affaire. Pour éviter le retour d'incidents, je demandai à Monseigneur le duc de Guise l'autorisation de donner au groupe de l’Action Française de Stan, le nom «Groupe Philippe VIII» en souvenir de Monseigneur le duc d'Orléans. Je reçus la réponse du Prince par l'intermédiaire du commandant du Poy, son secrétaire.

 

Maison de Mgr le Duc de Guise, le 29 mars 1927

 

Monseigneur le Duc de Guise daigne me charger de vous dire qu'il ne voit aucun inconvénient à ce que le groupe royaliste se mette sous le patronage du regretté Prince dont on rappelait hier le douloureux anniversaire. Monseigneur le duc d’Orléans aimait à se rappeler les années qu'il avait passées dans votre Collège et il en parlait souvent. Aussi, Monseigneur le duc de Guise veut-il que vous soyez remercié de votre délicate pensée.

 

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments les plus distingués.

 

Hector du Poy.

 

Dès lors, notre groupe, indépendant de Stanislas même, était à l'abri de toutes les foudres ecclésiastiques.

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